La télévision a accompagné mon enfance comme un doudou. Du plus lointain de mes souvenirs d’enfance, il y a la télé. Elle était grosse, marron avec son écran gris et ses gros boutons. Elle trônait au milieu du salon, à côté de la cheminée. Je me souviens que j’aimais coller mes yeux à l’écran rebondi gris pour regarder les lignes de petits points de couleurs rouge vert et bleu. L’ensemble de ces points donnait des images en couleur qui me donnaient le tournis.
Car la télévision de mes parents était en couleur, contrairement à la télé de mes grands parents Venn qui était en noir et blanc. Ce noir et blanc qui donnait des couleurs grises et montrait le monde d’avant la télévision couleur, ce monde « d’époque » qui était en noir et gris. Dans mon imaginaire d’enfant, le monde avant moi était en noir et blanc. Quelle chance j’avais de vivre dans un monde en couleur !
La mire de la télé
Il y avait trois chaines de télévision. Certaines commençaient à midi, une autre à 19 h pour finir à minuit avec le générique de fin de Folon. Ma dyslexie m’a vite conduit à plonger dans les images, tellement riches, tellement belles, tellement sexy, par rapport aux fourbes collections de la bibliothèque rose et à ce crétin de Oui-Oui. Chaque mot était une torture, à déchiffrer. Alors que la télévision était si belle avec ses merveilleuses séries pour enfants. Je trouvais extraordinaire que des adultes puissent prendre le temps de consacrer du travail pour faire des programmes pour enfants.
Curieusement, la télévision n’est pas qu’images dans mes souvenirs. C’est peut-être et surtout l’espace du son dans le salon : de la mélodie de « La piste aux étoiles », à la musique de « Kiri le clown », en passant par le générique de « Pépin la bulle », où la chanson de Colargol, l’ours qui chante en fa, en sol. Mais aussi la voix de Claude Piéplu qui me narrait les histoires des Shadoks.
Erwan Venn, Shadoks
Je n’ai pas identifié tout de suite les séries télés. Mes parents parlaient de feuilletons. Le mot était déplaisant. Il sonnait vieux et écorné comme un dictionnaire jauni. Rien à voir avec le viril Dany White, et tellement éloigné des « Mystères de l’Ouest » de James West et d’Artemus Gordon.
Au même moment, j’ai commencé à aller chez un orthophoniste. Un monsieur patient et rigolo, qui m’a appris à me maitriser, pour ne pas me transformer en Hulk, lors de colère provoquée par certains instituteurs et institutrices de l’école catholique du village où je vivais. Le Docteur Docet m’a enseigné à me fondre dans le décor, tel Daniel Westin, l’homme invisible. D’ailleurs, n’avais-je pas la même coupe de cheveux ? Je devais être l’enfant invisible. En tout les cas, un jour j’aurai la même montre.
Je ne parlerai pas des « Visiteurs du mercredi », qui avait le malheur de marquer la semaine et donc, le temps scolaire. Bien qu’il y ait eu ces fameux Brok et Chnok, et puis, l’enchainement avec « L’île aux enfants » se faisait, juste le temps de jouer de la fin de « Casimir » à « Il était une fois l’homme » !
Mon goût pour l’histoire s’est vraiment inscrit avec « Pierre et le Gros », surtout quand j’ai vu que les Sarrazins, les Francs et les Burgondes avaient les mêmes Pierre et le Gros. L’homme se battait contre lui-même.
Je ne parlerai pas non plus, du « samedi est à vous », qui me donnait la frustration de ne voir que le début de « Cosmos 1999 », parce que je devais partir chez l’orthodentiste pour mon appareil dentaire. Je rentrai juste à temps pour Zorah la rousse, Zorah belle et farouche.
Ma vie a réellement basculée l’été 1978, avant mon entrée en sixième et l’arrivée de GOLDORAK, un robot, un puissant robot, piloté par le prince d’Euphor. J’avais été prévenu, par le tube de l’été précédent, que nous étions déjà tous des Robots grâce à la chanson de Kraftwerk. Dès la rentrée des classes, la censure a rapidement occupé l’esprit de mes parents, influencés par de déplorables lectures, comme « Le pèlerin magazine » ou « La vie catholique », qui expliquaient que les dessins animés japonais étaient trop dangereux pour mon regard, trop violent pour les enfants. Comment pouvait-on penser que la violence venait de Goldorak, alors que celle-ci venait des forces de Véga et des armées d’Hydargos.
Décidément, ces adultes ne comprenaient rien. La violence, la vraie, venait de l’école, cette école autoritaire, hiérarchisée et inégalitaire. Au contraire, Actarus me donnait des astuces pour lutter contre cet environnement délétère.
Rater un épisode était un drame, pour cette série hebdomadaire.
Erwan Venn, Goldorak
Le ranch du Boulot blanc a donc accompagné mon adolescence, jusqu’à l’entrée en seconde, où j’ai été envoyé aux Cordeliers, en pension, pour ainsi dire aux galères, pour continuer mes peines de prisons car j’étais un incurable dyslexique, qui plus est, un récidiviste, qui passait son temps à peindre et à dessiner.
Il me semble que les premières prises de conscience de combats à mener furent nourris par Kunta Kineté. Ses souffrances étaient les miennes, mon empathie totale. Puis par Holocauste, je ne me souviens plus de la première fois que j’ai vu des images de camps de concentration. Mais je savais en regardant la série ce que les personnages allaient subir. Mon effroi en était plus terrifiant.
Pendant l’été, j’avais juste eu le temps de suivre les hilarants « Arpents verts », puisque les épisodes passaient quotidiennement.
Les séries télés étaient une denrée rare et tellement précieuse.
C’est à partir de mon entrée aux Cordeliers que j’ai arrêté de regarder la télévision. Pas de télé en pension et puis l’adolescence qui se termine, qui conduit au monde des adultes, à l’amour, aux soirées, aux concerts, les musiques post punk avaient envahi mon quotidien.
Hors, cinéma de minuit et autre ciné club, je n’ai quasiment pas regardé la télévision durant les années 1980. Il faut bien dire que c’était assez mauvais. Hormis les quelques semaines de TV6, rien à part peut-être les enfants du rock et encore.
A l’instar de Depeche Mode, j’ai commencé par la coiffure. Ma dyslexie m’a conduit directement en formation professionnelle : garçon coiffeur, le désespoir absolu, alors regarder la télé...
Décidément, c’est le son qui m'attirait les oreilles, sound of vision.
Puis, je suis tombé amoureux d’une fille merveilleuse. Un besoin de liberté d’expression me conduisit à tenter le concours d’entrée aux Beaux-Arts où je fus reçu à Rennes en 1989.
En novembre, le mur de Berlin tombait et les ordinateurs sont arrivés en masse.
En janvier 1991, alors que Bagdad allait se faire bombarder, un de nos professeurs, Bruno Carbonnet, nous présenta une interview de Paul Virilio puis un documentaire sur les armes utilisés par l’armée US. Après avoir été glacés par l’atmosphère, nous sommes allés voir un camarade qui avait la télévision. Nous avons regardé en live les premières images du bombardement de Bagdad.
L’image était verte, glauque. Les caméras thermiques à vision nocturne nous montraient des lignes de lumière, que l’on devinait mortelles. Le retour des commentaires des journaux télévisés était d’une telle pauvreté que nous avons décidé d’écumer les bars de la ville munis d’une télévision portable de petit format. À chaque arrêt, nous faisions un commentaire sportif de la guerre en cours. Une performance emprunte de cynisme et de désespoir qui s’est finie par une séance de concours d’insulte avec un groupe de minets au Piccadilly. Nous l’avons emporté par KO avec « cul d’oignon ».
Vue de Bagdad, guerre du Golf, 1991
La guerre sans la guerre.
Me remémorant ce qu’un de mes grand pères me racontait à propos de la réception des nouvelles de la guerre. Il se souvenait qu’il avait appris la chute de Douaumont, une semaine après les faits. Aujourd’hui nous étions donc au courant dès la seconde de l’événement.
Puis je suis devenu papa.
Et je me suis mis à re-regarder la télé. Il faut dire que les lecteurs VHS facilitaient l’objet. Je n’étais plus passif.
Les sources d’images et d’informations se multipliant, la frénésie de télévision s’est très largement calmée.
J’ai fait l’acquisition de mon premier ordinateur au milieu des années 1990. Puis Internet a tout chamboulé dix ans après.
C’est à cette période que des séries phares, telle que « Six feet under » sont apparues. Je ne vais pas décrire ces nombreuses séries. D’autres le font mieux que moi, comme Sarah Hatchuel. Il faut lire ses formidables ouvrages.
Je peux seulement dire que le data center, couplé aux écrans a définitivement changé ma pratique de la série.
Et que cela me rend heureux.
Erwan Venn